Conflits de travail ferroviaires et au port de Montréal | Un risque de perturbations « sans précédent »
Par l’eau, la terre et les chemins de fer : le spectre d’une paralysie de la chaîne logistique dans l’est du Canada s’intensifie avec une grève qui risque de paralyser les deux plus grands transporteurs ferroviaires au pays dès le 22 mai. De quoi raviver de mauvais souvenirs pandémiques chez certains.
L’ultimatum a été lancé mercredi par la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, qui représente 9300 employés de la Compagnie des chemins de fer nationaux (CN) et du Canadien Pacifique Kansas City (CPKC). À 98 %, ils ont voté en faveur d’un débrayage dans trois semaines s’il n’y a pas d’ententes de principe avec les deux entreprises.
« Une grève simultanée au CN et au CPKC pourrait perturber la chaîne d’approvisionnement d’une manière sans précédent au pays, a affirmé le président des Teamsters, Paul Boucher, au cours d’une conférence de presse, sur la colline du Parlement, à Ottawa. Ce n’est pas notre stratégie. Mais nous ne sommes pas convaincus que c’est la même chose dans le cas des deux compagnies. »
Ce conflit de travail, qui pourrait freiner la circulation des marchandises d’un océan à l’autre, s’ajoute aux inquiétudes entourant l’impasse entre les débardeurs du port de Montréal et leur employeur, l’Association des employeurs maritimes, et l’incertitude qui règne à l’Agence des services frontaliers du Canada.
Des arrêts de travail simultanés se traduiraient par d’importants maux de tête pour la chaîne d’approvisionnement, qui vient de se relever des perturbations provoquées par la pandémie de COVID-19. De mémoire, Jacques Roy, professeur de gestion des transports à HEC Montréal, ne se souvient pas d’avoir vu autant d’incertitude guetter des acteurs clés de la chaîne logistique d’un océan à l’autre.
« Je ne me rappelle pas de cela, laisse-t-il tomber. Le plus proche, c’est ce qui est arrivé avec la pandémie, quand on avait, pratiquement, arrêté l’économie délibérément. Et même là, la pause n’avait pas été si longue. »
Le gouvernement Trudeau semble bien au fait de ce scénario catastrophe. Le 12 avril dernier, le sous-ministre adjoint et chef du Bureau national de la chaîne d’approvisionnement sollicitait le secteur privé afin de brosser un portrait des conséquences potentielles.
« Vous êtes invités à partager vos points de vue et à discuter des impacts potentiels sur vos secteurs respectifs », soulignait l’invitation, que La Presse a pu consulter.
Au port de Montréal, le contrat de travail des quelque 1100 syndiqués est venu à échéance le 31 décembre dernier et la médiation entre les deux parties est à l’arrêt.
« Les médiateurs ont convenu de se maintenir en contact avec les parties sur une base régulière afin d’évaluer la suite des choses », se limite à dire le président du syndicat, Martin Lapierre, dans un bulletin transmis à ses membres le 29 avril dernier.
Déjà des plans B
Flambée des prix et des tarifs, retards et autres imprévus : la crise sanitaire en a fait voir de toutes les couleurs aux importateurs et exportateurs de marchandises. Dans le milieu, on a appris à devenir plus résilient, explique Pierre Dolbec, président du courtier en douane Dolbec International. Tout le monde peut trouver des moyens pour s’adapter, dit-il, mais cela engendre toujours des dépenses supplémentaires.
C’est ce qui attend l’homme d’affaires en cas de débrayage au CN et au CPKC.
« On viendrait presque paralyser tout ce qui concerne le fret terrestre, affirme M. Dolbec, au cours d’un entretien téléphonique. Il restera le transport routier, mais cela vient avec une facture. Envoyer un conteneur de l’Ouest canadien jusqu’ici par camion, c’est 12 000 $. Un seul conteneur. Ça n’a pas de bon sens. »
Signe que l’on s’attendait à un ultimatum de la part des conducteurs, ingénieurs de locomotive et employés des gares de triage des deux principaux chemins de fer au pays, certaines entreprises s’affairent déjà à trouver des solutions de rechange.
Dans une lettre envoyée lundi à ses fournisseurs – que La Presse a obtenue –, la chaîne d’alimentation Sobeys (IGA au Québec) leur recommande de déployer des « mesures de préparation significatives » afin d’éviter des perturbations. On leur recommande entre autres de réduire le nombre de commandes de chargement partiel et d’avancer leurs achats, notamment.
« En ce qui concerne le transport géré par les fournisseurs, nous nous attendons à ce que vous organisiez votre réseau de transporteurs et mainteniez un service solide dans toutes les régions, écrit Sobeys. Nous demandons aux fournisseurs de planifier de manière proactive pour mieux gérer cette contrainte. »
Avec la collaboration de Marie-Eve Fournier, La Presse
Les conflits de travail qui guettent la chaîne d’approvisionnement
Le CN et le CPKC
Les deux chemins de fer pourraient se trouver au neutre le 22 mai. Ces deux transporteurs ferroviaires exploitent les deux grands réseaux au pays, ce qui paralyserait la chaîne d’approvisionnement. La principale pierre d’achoppement des négociations concerne les horaires de travail. Les Teamsters affirment que les employeurs veulent éliminer les principales dispositions de repos des contrats de travail.
Port de Montréal
La médiation entre les débardeurs du port de Montréal et leur employeur, l’Association des employeurs maritimes (AEM), sont au neutre depuis la fin d’avril. Les quelque 1100 syndiqués représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique ont rejeté, de manière quasi unanime, l’offre patronale, le 17 avril dernier. L’AEM affirme qu’avec sa proposition, elle est allée le « plus loin » qu’elle pouvait. Même si les relations sont tendues, le syndicat n’a pas encore convoqué d’assemblée pour voter sur une grève.
Les douaniers
Quelque 9000 salariés de l’Agence des services frontaliers du Canada se prononcent sur un mandat de grève jusqu’au 15 mai prochain. La parité salariale avec des organisations comme la GRC, le recours à la sous-traitance et la sécurité d’emploi sont parmi les points en litige. En cas de débrayage, des services essentiels seraient maintenus, mais la circulation transfrontalière risque d’être affectée.
Port de Québec
Cela fait quelque 600 jours qu’environ 80 débardeurs du port de Québec sont en lock-out. Dans ce dossier, les activités peuvent se poursuivre étant donné que l’employeur, la Société des arrimeurs, a recours à des travailleurs de remplacement, faute d’une loi anti-briseurs de grève en vigueur. Les horaires de travail sont au cœur du litige.
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92 % Taux de participation aux votes de grève au CN et au CPKCSource : Teamsters Canada