Qui est vraiment l’animateur de radio Paul Arcand ?
Une page se tourne cette semaine sur l’histoire de la radio au Québec. Paul Arcand, le roi incontesté des ondes depuis près de 35 ans, animera sa dernière émission vendredi. Suivra sans doute une période de deuil pour des milliers d’auditeurs. Avec les années, sa voix nous était devenue familière et, chaque matin, sa présence, presque réconfortante. Et pourtant, l’homme derrière le micro, lui, nous paraît relativement inconnu.
« Il est très discret sur sa vie privée. Il n’en parle jamais. Ce n’est pas parce qu’il est antipathique. Au contraire, il est très chaleureux, très empathique. Il est juste discret de nature. En 15 ans à ses côtés, je n’ai jamais su pour qui il votait, par exemple », résume Serge Amyot, qui a longtemps été son recherchiste.
En effet, difficile de dire pour qui vote Paul Arcand, qui a eu son lot d’accrochages avec les politiciens de toutes les couleurs politiques. À l’exception de son frère Pierre, ancien élu libéral, qu’il n’a jamais voulu interviewer pour des raisons évidentes. De sa famille sinon, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il est en couple depuis plusieurs années et qu’il a deux fils, qui travaillent tous deux dans le domaine des médias.
Peut-être que ses proches ont écopé du mode de vie monastique qu’impose le rôle d’animateur matinal ? Lorsqu’on lui pose la question, l’animateur chevronné de 64 ans, qui se réveille à l’aube et qui dit travailler sept jours sur sept, rit nerveusement. Il bafouille, lui à qui les mots ne manquent pourtant jamais lorsqu’il improvise chaque matin sur le coup de 6 h en faisant sa revue de presse. « Je ne sais pas trop quoi répondre. Je pense que, pour n’importe quel travail, il y a des contraintes. Si votre père est policier, il a des horaires atypiques. Si votre mère est médecin aussi. » Ainsi, il louvoie, comme le font ces politiciens dont il exècre la langue de bois.
« Je n’ai jamais mis en marché ma vie personnelle. Ma femme et mes enfants, ça ne fait pas partie d’un plan de marketing », précise ensuite Paul Arcand, qui a toujours fui les mondanités et les projecteurs.
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Le Paul de tous les jours
Cet introverti de nature préfère poser les questions qu’y répondre. Mais voilà que, depuis qu’il a annoncé, il y a deux ans, qu’il ne renouvelait pas son contrat avec le 98,5 FM, il est sollicité de toutes parts pour accorder des entrevues. « Je n’aime pas beaucoup ça. Disons que, quand ce sera fini, je vais avoir eu mon quota pour plusieurs années », dit-il en riant.
En privé, on dit que Paul Arcand est bon rieur. Son sens de l’humour, parfois décapant, jouerait un rôle précieux pour souder son équipe. On pourrait le croire austère, vu la fermeté avec laquelle il mène certaines entrevues. En l’entendant pousser ses coups de gueule chaque matin contre les « fonfons » et la lenteur des machines bureaucratiques, d’aucuns pourraient aussi être amenés à penser qu’il a un caractère intempestif. Or, il n’en serait rien.
Moi, quand j’ai commencé à animer sur CJMS, les patrons auraient eu toutes les raisons de me renvoyer. Ce n’était pas ben bon ! Puis, ça a fini par se placer.
« C’est très agréable de travailler avec lui. Le Paul dans la vie de tous les jours est beaucoup plus proche du Paul qui est ondes à 5 h 30, qui est relaxe et qui raconte des blagues avec son équipe. Ce n’est pas le Paul de 7 h 25, qui confronte ses invités », observe Émilie Perreault, qui a été chroniqueuse culturelle sur son émission de 2012 à 2018.
Homme d’instinct
Dans le cadre de ce portrait, Le Devoir a pu parler à un peu moins d’une dizaine d’anciens collaborateurs, qui ont travaillé avec Paul Arcand à différentes époques. Tous louent sa rigueur, son érudition, son flair. « Ce que j’aime de lui, c’est que, même s’il est numéro un, il ne s’est jamais assis sur ses lauriers. Il n’a jamais eu peur de prendre des risques pour améliorer l’émission. Il a quand même choisi Monic Néron pour remplacer Claude Poirier aux faits divers. Il fallait le faire ! Je pense qu’on ne peut pas trouver deux personnes plus différentes », souligne Émilie Perreault.
En effet, pour demeurer au sommet, il ne suffit pas de dorloter l’auditeur en lui offrant ce qu’il veut bien entendre. Il faut parfois oser lui tenir tête. Comme quand Paul Arcand a choisi comme chroniqueur Luc Ferrandez, ex-maire du Plateau-Mont-Royal, et grand pourfendeur de l’auto solo. Une décision de prime abord contre-intuitive, sachant qu’une bonne partie des auditeurs du 98,5 FM habitent le 450 et écoutent la radio lorsqu’ils sont en voiture justement.
« Quand on a annoncé l’arrivée de Luc Ferrandez, c’est fou le nombre de courriels d’auditeurs que j’ai reçus pour nous dire qu’ils n’écouteraient plus jamais l’émission. Mais je tenais à ce qu’un gars qui a des idées plus à gauche ait une voix sur nos ondes. Et finalement, les gens sont restés. Si tu te fies toujours à la première réaction des gens, soit tu ne prends jamais de décision, soit tu prends les mauvaises décisions », souligne celui qui deviendra l’un des collaborateurs de La Presse à l’automne.
S’il a un conseil pour son successeur, Patrick Lagacé, c’est bien celui-là d’ailleurs. Il faut donner le temps au temps, ne pas se laisser abattre par les premiers commentaires. « Patrick a tout ce qu’il faut pour réussir. Mais il faut laisser l’auditeur s’habituer au changement. Il ne faut pas qu’il tienne compte des commentaires au début. Moi, quand j’ai commencé à animer sur CJMS, les patrons auraient eu toutes les raisons de me renvoyer. Ce n’était pas ben bon ! Puis, ça a fini par se placer », rappelle l’animateur de radio le plus écouté du Canada.
Le roi indétrônable
Pourtant, ceux qui l’ont connu à ses débuts à CJMS se souviennent de lui comme d’un surdoué. Un talent inné. « C’était évident qu’il allait devenir une immense vedette de la radio. Il dégageait déjà une autorité naturelle. En raison de son physique imposant, mais aussi de son intelligence. Intellectuellement, on parle de quelqu’un de supérieur », relate Paul Larocque, qui a commencé dans le métier en même temps que lui sur les ondes de cette défunte radio AM.
Le chef d’antenne de TVA parle de Paul Arcand avec la même admiration qu’Émilie Perreault, aujourd’hui animatrice de l’émission culturelle Il restera toujours la culture, sur ICI Première. C’est là que réside tout le succès d’Arcand ; il arrive à parler autant aux auditeurs TVA qu’aux Radio-Canadiens. Son émission est écoutée par les camionneurs, les chauffeurs de taxi, les cols bleus… Mais aussi par les employés des cabinets de ministre et les hauts fonctionnaires, pour qui la chronique politique de 7 h est devenue un rendez-vous incontournable, puisque ce qui s’y dit donne le la pour le reste de la journée.
Paul Arcand peut parler à vif de politique, d’économie, de l’actualité internationale, puis rebondir sur le fait divers le plus scabreux. On raconte d’ailleurs qu’il était complètement absorbé en 1994 par l’affaire O. J. Simpson. Personne n’a cette polyvalence, et c’est pourquoi également personne ne ratisse aussi large que lui. Selon les derniers chiffres printaniers de Numeris, Puisqu’il faut se lever accapare près de 37 % des parts de marché entre 5 h 30 et 9 h.
Le principal intéressé pourrait s’en vanter, mais, au contraire, il fait preuve d’une étonnante humilité. « J’ai aussi connu mon lot d’échecs. C’est loin d’être une carrière parfaite », tient-il à préciser, comme s’il était gêné de ses exploits à la radio.
Il a en tête ses débuts cahoteux à la télévision à la fin des années 1990 à TQS. L’animateur a aussi en mémoire Québec sur ordonnance, son deuxième documentaire comme réalisateur, éreinté par la critique lors de sa sortie en 2007. « Le sujet était bon, mais ce n’était pas un bon film. Les critiques avaient raison. Quand une émission de radio est mauvaise, ce n’est pas grave, on recommence le lendemain. Mais un film, malheureusement, on ne peut pas le reprendre une fois qu’il est sorti », souligne celui qui travaille actuellement à un documentaire sur Claude Poirier.
Il continuera aussi de collaborer avec le 98,5 FM pour des balados. Les projets ne manquent pas pour cette retraite qui n’en est pas une. S’arrêter n’est pas dans les plans de ce bourreau de travail. En serait-il capable ?