Fallait-il craindre Paul Arcand? | LesAffaires.com
«Quand il est devenu matinier à CJMS, en 1990, Paul Arcand n’est pas entré dans un moule.» (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Paul Arcand. Depuis plus de trois décennies, la seule mention de son nom a empêché de dormir de très nombreuses personnes qui allaient se retrouver à son micro. Leur crainte de se faire ramasser était souvent très grande… Était-ce justifié?
Retour sur la carrière de l’animateur radio le plus écouté au Canada, qui a choisi de quitter son micro du 98,5 FM en pleine gloire. Ce départ est prétexte à une excellente leçon de communication.
Un journaliste d’affaires publiques à l’antenne
Quand il est devenu matinier à CJMS, en 1990, Paul Arcand n’est pas entré dans un moule. Il a créé sa propre piste. Journaliste, il était donc féru en affaires publiques, contrairement aux autres animateurs les plus populaires de son époque, qui étaient davantage liés aux domaines culturel et des variétés: Michel Desrochers (CBF Radio-Canada), Jacques Proulx (CKAC) et Lucien «Frenchie» Jarraud (CKVL). Les interviews y étaient rares et, plus souvent qu’autrement, sympathiques. Puis, il y a eu un virage.
En effet, tant à CJMS qu’à CKAC, puis à la nouvelle station 98,5 FM, Paul Arcand a créé un style. Le sien. Du jour au lendemain, il interviewait les personnalités publiques avec une approche corsée… qui en a décoiffé plus d’un!
Paul Arcand travaillait pour qui?
D’une entrevue à l’autre, Paul Arcand faisait la distinction entre son employeur et son public. Il s’agit d’une différence notable.
Paul Arcand travaillait pour son public, en flairant ce que ses auditrices et auditeurs voulaient entendre comme questions. C’était très facile puisqu’il a été en contact continu avec eux et elles — en particulier, grâce aux innombrables courriels qu’ils lui faisaient parvenir en direct ou à la suite de ses émissions.
C’est un euphémisme d’affirmer ceci:
«Paul Arcand ne lâchait le morceau qu’après avoir obtenu des réponses satisfaisantes, ou… avoir démontré que la personne à son micro tentait de noyer le poisson.»
Travailler pour son public, ça pouvait vouloir dire, aussi, mordre des entreprises qui sont des annonceurs à la station. Ça ne semble pas l’avoir beaucoup ébranlé!
Paul Arcand était dans une classe à part. Depuis le 1er janvier 2024, il a fait parler de lui à 527 reprises dans la presse écrite. C’est environ 10 fois plus que l’intérêt accordé à son principal concurrent dans le marché de Montréal, Patrick Masbourian.
Aller à son micro… ou non?
Depuis 1990, LA grande question que se sont posée les stratèges en affaires publiques — tant au sein des organisations que dans les cabinets — a toujours été la même: «On envoie le patron chez Arcand, ou non?».
Je ne compte plus les situations où j’ai recommandé à des clients d’aller en studio, face à lui, pour présenter un point de vue solide. Mon principal argument était celui-ci:
«Votre point de vue est défendable? Allez le présenter à Paul Arcand. Il ne l’est pas? N’allez surtout pas tenter de jouer au plus fin avec lui… puisqu’il vous tranchera en rondelles!»
Je me souviens d’un dirigeant d’entreprise qui défendait un enjeu sensible. Je l’ai convaincu d’aller en studio. Il lui a dit: «Monsieur Arcand, je vous regarde dans les yeux en vous affirmant que…». L’animateur l’a laissé exprimer son point de vue, qui était différent de sa prémisse du début d’entrevue. Ce ne fut pas une partie de plaisir… mais mon client en est sorti très satisfait.
Je pense aussi à un excellent stratège en communication qui a été forcé — par le conseil d’administration de son employeur — à aller au micro de Paul Arcand pour «défendre notre décision», lui a-t-on dit. Évidemment, ça découle de l’un de mes dictons préférés:
«Au Québec, il y a trop de gens qui croient qu’ils peuvent diriger le Canadien et concevoir d’excellentes stratégies de communication…»
Ce collègue pourtant chevronné s’est retrouvé dans la choucroute dès la première question… Et, il n’a jamais été capable de répondre par des «oui» et des «non», aux questions très pointues de Paul Arcand — qui savait fort bien qu’il le tenait dans les câbles.
L’après-Arcand
Que doit-on retenir de l’époque Paul Arcand à la radio? Va-t-elle disparaître?
Bien sûr que non. Les entrevues à la radio parlée sont très souvent corsées, et elles vont le demeurer puisque c’est ce que le public souhaite! La montée continuelle des cotes d’écoute aux stations de Cogeco et ICI Première, dans les marchés de Montréal et de Québec, notamment, le confirme.
Dans ce contexte, voici quelques éléments sur lesquels vous pourriez appuyer votre stratégie de communication:
1) Préparez un argumentaire que vous considérez solide, et que vous serez très à l’aise de défendre en toutes circonstances, devant différents publics (c’est plus facile à dire qu’à faire!). Cet argumentaire devrait reposer sur deux ou trois piliers, pas plus. Sinon, vous perdrez le focus ;
2) Identifiez de 15 à 20 questions les plus susceptibles de vous être posées. Et, n’oubliez surtout pas celles que vous ne souhaitez pas entendre! Pensez aux différents aspects de l’enjeu, et n’hésitez pas imaginer des questions «du champ gauche»… Il vaut mieux être surpris lors de la préparation de ces questions qu’en direct!
3) Acceptez les demandes d’entrevues et osez en proposer, que ce soit pour faire valoir ou défendre un enjeu ;
4) Aller en studio, malgré les contraintes de logistique. Le contact sera plus souvent relationnel que conflictuel ;
5) Si, après avoir préparé sérieusement les points 1 et 2, vous évaluez à moins de 8,5 sur 10, votre aisance à aller faire valoir ou défendre l’enjeu en question, n’y allez pas. Vous devez revoir sa pertinence avec l’équipe à l’interne, plutôt que d’engendrer consciemment un déficit de réputation à votre marque.
Au plaisir de vous retrouver, Paul Arcand!
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