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Maria Schneider : le récit d'une tragédie de l'avant-MeToo

Maria Schneider  le récit dune tragédie de lavantMeToo
Dans « Maria », la réalisatrice Jessica Palud redonne vie à l’actrice, incarnée par une Anamaria Vartolomei exceptionnelle. Et raconte le tournage qui la brisa.

De The Artist à Babylon en passant par Making of, le cinéma n'en finit pas de se raconter sa propre histoire, de revisiter ses légendes et de se mettre en scène… On peut y trouver du plaisir et parfois s'irriter de cet entre-soi. Mais, dans le cas de Maria de Jessica Palud, présenté à Cannes ce 22 mai dans la sélection Cannes Première, il s'agit d'une tout autre chose : regarder vers le passé pour mieux comprendre le présent.

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La réalisatrice (qui avait signé en 2019 un premier film intitulé Revenir) revisite l'histoire tragique de Maria Schneider, magnifique actrice dont la vie fut altérée à tout jamais par une agression subie sur le tournage du Dernier Tango à Paris (1972) de Bernardo Bertolucci. Elle le fait sans souligner le lien évident avec la crise qui secoue le monde du cinéma depuis plusieurs années (et en particulier ces derniers temps à l'initiative de Judith Godrèche). Elle n'en a pas besoin, tant les parallèles sont évidents.

Jessica Palud a commencé sa carrière en tant que stagiaire alors qu'elle n'avait pas 20 ans. Son premier film ? Un triangle amoureux au parfum d'érotisme sulfureux, Innocents - The Dreamers (2003) de Bernardo Bertolucci. Elle a donc connu, 30 ans après, l'homme qui a dirigé Maria Schneider. Elle a aussi vu, au long d'une carrière d'assistante sur les plateaux de cinéma, ce qui se noue entre des cinéastes ivres de leur puissance et des comédiens en situation de vulnérabilité. Voilà sans doute ce qui fait, en plus d'un vrai talent de mise en scène, la qualité du regard que pose la réalisatrice sur le personnage de Maria Schneider, incarnée par une Anamaria Vartolomei (la découverte de L'Événement d'Audrey Diwan) en tout point remarquable.

L'agression sur le tournage du Dernier Tango à Paris

Le film raconte donc Maria, d'abord adolescente rejetée par sa mère (une Marie Gillain méconnaissable) et en quête du regard de son père (le comédien Daniel Gélin, ici joué par Yvan Attal) qui ne l'a pas reconnue. Apprentie comédienne, elle n'en croit pas sa chance quand elle est choisie par le génie Bertolucci pour tenir tête à un Marlon Brando quinquagénaire dans le Tango. Ici – comme dans le beau livre de Vanessa Schneider, la cousine de l'actrice, dont Jessica Palud s'inspire librement (Tu t'appelais Maria Schneider, Grasset, 2018) –, on comprend que Maria a accepté en connaissance de cause un scénario aux scènes sexuelles explicites.

Le problème, c'est qu'un jour, sur le tournage, Bertolucci (Giuseppe Maggio) décide de changer une scène pour la rendre plus violente. Il donne ses consignes à Brando (joué par un Matt Dillon malheureusement pas à la hauteur du personnage) sans prévenir Maria. C'est donc sous le regard de toute l'équipe et pendant que la caméra tourne que Maria Schneider se fait plaquer au sol par Brando qui feint de la sodomiser, s'aidant d'une motte de beurre.

Maria montre sans ciller ce moment fatidique du point de vue de la jeune comédienne, suffoquée par la violence de l'agression. Quand il faut tourner la suite, l'équipe, pourtant manifestement choquée, ne dit mot. On orchestre la mise en place, avec une habilleuse qui vient baisser le pantalon de Maria Schneider pour assurer la continuité entre les plans…

À LIRE AUSSI Cinéma – Chefs-d'œuvre de manipulationJessica Palud nous fait ressentir l'horreur de ce que vit la jeune comédienne (mineure aux yeux de la loi de l'époque), les ambiguïtés de Brando qui a jusqu'ici entretenu avec elle une relation de tendresse respectueuse mais obéit sans protester le moins du monde aux consignes de son metteur en scène. On mesure enfin le rôle de Bertolucci qui pense que c'est ainsi, en obtenant, comme il le dira plus tard dans une interview, « de vraies larmes, une vraie humiliation », qu'il pourra toucher à la grandeur artistique.

Un parcours fracassé

Lorsque Maria sort du tournage du Tango, c'est toute la violence du regard des autres qui lui saute au visage. Jessica Palud condense ce calvaire en quelques scènes fortes : une interview où Maria Schneider dénonce ce qu'elle a subi sur le tournage, et se fait aussitôt conspuer par son entourage, un déjeuner au restaurant qui tourne au désastre quand une femme vient lui proclamer son dégoût au visage.

Le traumatisme de l'agression subie sur le tournage est décuplé par la réaction au film. On pointe Maria Schneider du doigt parce qu'elle s'est dénudée, parce qu'elle a joué des scènes de sexe. Il n'y a que Michelangelo Antonioni pour lui proposer un rôle intéressant (Profession Reporter, 1975) et à la mesure de son talent.

Une Anamaria Vartolomei vibrante est à la hauteur de cette écorchée vive qui, bientôt, sombre dans la dépendance à l'héroïne. Dans une très belle scène où, en sortant de chez son oncle (l'écrivain, qui fut une grande plume du Point, Michel Schneider), elle découvre qu'on lui a volé sa mobylette, Maria implore les voisins sortis sur leur balcon, attirés par ses cris : « Ne me regardez pas ! »

On songe à Romy Schneider suppliant Jacques Dutronc de ne pas prendre de photo d'elle dans L'Important, c'est d'aimer. Quelque chose de fort passe, quelque chose de la tragédie des actrices, du vampirisme du regard qu'elles subissent. Il se passe davantage dans ce plan que dans tout Blonde, le film d'Andrew Dominik sur Marilyn Monroe qui touche, forcément, aux mêmes thèmes.

Alors, oui, même pour qui connaissait déjà l'histoire de Maria Schneider, ce film est un choc. Parce qu'il montre avec franchise ce qui peut se passer au nom de la mise en scène et de la création artistique. Parce qu'il fait ressentir jusqu'au dernier plan – un inoubliable regard caméra – ce qu'a vécu cette femme au parcours fracassé. Celle dont un Bertolucci remarquablement lucide a dit, lorsqu'elle a disparu un triste jour de février 2011 : « Sa mort est arrivée trop tôt. Avant que je ne puisse l'embrasser tendrement, lui dire que je me sentais lié à elle comme au premier jour et, au moins pour une fois, lui demander pardon. Maria m'accusait d'avoir volé sa jeunesse et aujourd'hui seulement je me demande si ce n'était pas en partie vrai. »

« Maria », en salle le 19 juin.

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