Madeleine Arbour, 1923-2024 | Une grande dame du design disparaît
La dessinatrice, peintre, animatrice de télévision, femme d’affaires et designer québécoise Madeleine Arbour est morte à l’âge de 101 ans. Pionnière du design de présentation au Québec, elle était une des dernières survivantes des signataires du manifeste Refus global.
Une grande dame, une grande femme, libre et engagée, Madeleine Arbour laissera une trace indélébile dans l’histoire du Québec et notamment celle du design.
Née le 3 mars 1923 à Granby, elle était tombée amoureuse des arts très jeune. La tapisserie, la danse, le dessin. Avec un certain talent. À 15 ans, elle avait dû user d’astuce pour pouvoir accéder à une exposition d’Ozias Leduc qui l’avait époustouflée.
Ne manquant ni de courage ni de conviction, elle se joint, le 9 août 1948, à Paul-Émile Borduas, Jean Paul Riopelle, Marcel Barbeau, Fernand Leduc, Françoise Sullivan, Jean-Paul Mousseau, Marcelle Ferron, Thérèse Renaud, Louise Renaud, Bruno Cormier, Maurice Perron, Claude Gauvreau, Françoise Riopelle, Muriel Guilbault et Pierre Gauvreau pour lancer le manifeste Refus global, un coup de tonnerre politique, social et culturel dans le Québec rétrograde de l’époque.
« Pendant des années, la société s’est moquée de nous parce qu’on a signé ce manifeste, racontait Madeleine Arbour dans La Presse en 1998. Maintenant, on nous désigne en disant : voici les signataires du Refus global ! Comme si nous avions des petites ailes et qu’on était des privilégiés. Quand j’ai déclaré à ma mère que j’allais signer le Refus global, elle a réuni toute la famille au salon. Elle a dit : “Regardez ce que Madeleine va faire !” J’ai alors dit : “Ou je signe ou je sors par la fenêtre du troisième étage.” »
Madeleine Arbour avait déjà, à 25 ans, la liberté de ton d’une femme déterminée. « Depuis que je suis petite, je sais que pour gagner sa liberté, il faut payer cher, il faut assumer sa différence », disait-elle à Anne Richer, dans La Presse, en 1992. Une différence qui l’a amenée à boycotter, en 2002, les funérailles de son ami et complice Jean Paul Riopelle, mécontente qu’elles aient lieu dans une église.
Ayant fait la promotion de la laïcité, Madeleine Arbour se plaisait à raconter que lorsque Riopelle lui rendait visite dans son loft-atelier de la rue Saint-Paul, à Montréal, elle faisait « de grandes croix sur les tables », pour le taquiner !
Le design
Madeleine Arbour a commencé à exprimer son attrait pour l’art comme étalagiste chez Birks, en 1939. Elle avait 16 ans et élaborait des vitrines comme s’il s’agissait d’œuvres d’art. Passionnée par la beauté, l’harmonie des couleurs et les beaux arrangements, elle avait en horreur les objets sans âme. Jeune mariée (avec Pierre Gauvreau), elle avait préféré manger sur une planche à repasser plutôt que de s’acheter une table ordinaire !
S’étant vite fait une réputation en design, elle ouvre, en 1965, son bureau de design intérieur, Madeleine Arbour et Associés. Elle développe ses talents chez Seagram et Archambault. Elle décore la cafétéria du pavillon canadien à Expo 67 et la Maison du Québec à New York en 1970. Plus tard, de 1987 à 1994, elle aménage et décore les trains de VIA Rail en y incorporant des œuvres d’art notamment de Riopelle, Michael Snow et Barbeau.
On lui doit aussi la rénovation esthétique des salons des gares de Montréal, Toronto et Ottawa, l’intérieur des avions d’Air Canada (de 1986 à 1990) et les salles publiques de la résidence du gouverneur général du Canada à la Citadelle de Québec. Pour ce lieu officiel, elle avait réalisé Rivière de lumière, un luminaire de 30 m de longueur ! Elle a aussi conçu des décors et des vêtements pour le Théâtre du Rideau Vert et la compagnie Jean-Duceppe.
Une carrière à la télévision
Madeleine Arbour a aussi eu une belle carrière au petit écran, dès les premières années de la télévision, notamment de 1959 à 1965, à La boîte à surprises, une émission qui apprenait aux enfants comment bricoler. En 1963, elle crée deux marionnettes pour la télévision, Monsieur IXE et Monsieur Saitout. Dans les années 70, elle participe à la série jeunesse Patofville et anime une chronique de design intérieur à l’émission Femmes d’aujourd’hui.
Elle avait adoré ces expériences de télé. « Je me souviens du trac qui m’étreignait, avant chacune de ces apparitions ! disait-elle au quotidien Le Soleil, en 2000. Mais je me rappelle surtout l’extraordinaire découverte que fut pour moi la caméra. En construisant la maison de Fanfreluche, par exemple, ce qui me passionnait, c’était de me servir de la caméra pour créer la magie. Avec la caméra, j’avais l’impression d’expérimenter un nouvel accessoire de bricolage ! »
Enseignement
Tout en élevant seule ses enfants, à la suite de son divorce, elle fait aussi sa marque comme professeure à l’Institut des arts appliqués de Montréal, puis au cégep du Vieux Montréal, où elle crée le programme Esthétisme de présentation (devenu Design de présentation).
Elle apprenait aux étudiants comment créer des kiosques d’exposition et des aménagements de présentation de produits. Une première au Québec qui a ouvert bien des possibilités dans le domaine des arts appliqués. « Je commençais toujours mes cours en disant aux étudiants : “Allez-vous-en si vous trouvez ça ennuyant !” », avait-elle raconté en 2018, lors d’une cérémonie au Cégep du Vieux Montréal qui lui avait rendu hommage en nommant une de ses salles à son nom et en lui décernant un diplôme honoris causa. Ce qui avait fait dire à Mme Arbour : « Je suis d’autant plus enchantée que je n’ai jamais eu de diplôme ! »
Louise Tellier, une enseignante en design d’intérieur qui avait travaillé pendant quatre ans dans l’atelier de Mme Arbour, avait témoigné, à cette occasion, du rôle qu’elle avait joué dans sa carrière. « C’est là que j’ai appris les bases de mon métier. Mme Arbour créait des installations épurées, sans superflu, pour ne conserver que l’essentiel d’où naissent la grâce et la beauté. Elle a toujours su créer de la magie, rendre l’ordinaire extraordinaire. » « Le design répond à des besoins de calme et de confort, disait Madeleine Arbour. Il dure longtemps en résistant à la mode. »
S’étant toujours impliquée dans des causes, Madeleine Arbour avait accepté en 1988 de présider le Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal. Elle fut la première femme à ce poste. Elle avait été étonnée qu’on fasse appel à elle. « Mais, disait-elle alors à La Presse, peut-être a-t-on compris finalement que dans tout ce que j’ai fait, aussi bien à La boîte à surprises, qu’à Femmes d’aujourd’hui, Jeunesse oblige ou Autrement dit, j’ai toujours tenté d’initier le public, les enfants comme les femmes, aux arts, au design, à la débrouillardise et à l’autonomie. »
En quelques dates
- 1923 : Naissance à Granby
- 1948 : Signature de Refus global
- 1984 : Mention spéciale du Conseil national du design pour son apport à l’exercice et à l’essor du design au Canada.
- 1987 : Devient membre de l’Ordre du Canada.
- 1998 : Reçoit le prix Condorcet pour sa défense de la laïcité
- 1999 : Devient Chevalier de l’Ordre national du Québec
- 2000–2001 : Expose au Musée national des beaux-arts du Québec
- 2002 : Reçoit le prix de design Sam-Lapointe
- 2012 : Reçoit un doctorat honoris causa à l’UQAM
- 2018 : Reçoit un doctorat honoris causa au Cégep du Vieux Montréal