Un peu de la face cachée de la Lune
La Chine a été en 2019 le premier pays à alunir sur le côté caché de notre satellite. Elle a ramené mardi sur Terre des échantillons avec une deuxième mission, Chang'e 6, sur la face cachée. L’empire du Milieu est-il en train de battre l’Oncle Sam dans la course à la Lune ?
Pourquoi rapporter des échantillons de la face cachée de la Lune ?
Parce qu’elle abrite le cratère d’impact le plus profond de notre satellite, le bassin du pôle Sud Aitken (SPA). « L’astéroïde qui l’a créé était tellement gros qu’il a probablement ramené à la surface des roches situées sous la croûte lunaire », explique Ed Cloutis, géologue à l’Université de Winnipeg qui est en train d’analyser des roches lunaires ramenées par Apollo. « Ça nous permettra de mieux comprendre la formation de la Lune. »
Si l’impact n’a pas ramené à la surface de roches situées sous la croûte, cela signifie qu’elle est plus épaisse que prévu. Il faudra alors réviser les modèles de formation de la Lune, explique M. Cloutis.
Le matériel ramené à la surface par l’impact qui a créé le bassin SPA était situé à plus de 80 km de profondeur, soit deux fois plus que le deuxième plus grand cratère lunaire. Le bassin SPA est le plus grand cratère d’impact connu dans le Système solaire, avec un diamètre de 2500 km. Il a été créé il y a plus de quatre milliards d’années.
Est-ce que les échantillons de la sonde spatiale chinoise Chang’e 6 pourraient être utiles pour une mission humaine ?
Probablement pas, selon M. Cloutis. « Peut-être si on trouve de l’eau facilement accessible, mais les inconvénients des délais de communication sont très grands. »
Qu’ont révélé les échantillons lunaires rapportés par le passé ?
« Même si la Lune n’a pas d’atmosphère, beaucoup de choses peuvent changer l’apparence de ses roches, dit M. Cloutis. Il y a les astéroïdes, le vent solaire. Avec les échantillons, on a commencé à départager les effets de la géologie et de ces facteurs. »
Quelles sont les autres missions prévues vers la face cachée ?
Aucune n’est au menu. La NASA en a proposé une il y a 25 ans, identique à Chang’e 6. En 1962 l’impacteur Ranger 4 de la NASA s’est écrasé sur la face cachée, mais n’a pas pu envoyer de données scientifiques.
Pourquoi l’appelle-t-on « face cachée » ou « face sombre », comme le titre d’un album de Pink Floyd ?
Parce qu’elle est toujours opposée à la Terre. D’ailleurs, la face cachée de la Lune reçoit de la lumière du Soleil et n’est pas toujours sombre.
Pourquoi la Chine est-elle le premier pays à y œuvrer ?
« Chang’e 6 est la mission robotique lunaire la plus compliquée jamais réussie par un pays », explique Brian Harvey, politologue irlandais qui a publié plusieurs livres sur le programme spatial chinois. Les communications doivent être relayées par des orbiteurs lunaires, ce qui augmente le délai de transmission, compliquant notamment l’alunissage.
Chang’e 6 ne faisait pas partie du programme lunaire chinois, explique M. Harvey. Mais après le succès de Chang’e 4, qui a aluni en 2019 dans le bassin SPA, il a été décidé d’utiliser un alunisseur de rechange de la mission Chang’e 5 (qui a rapporté des échantillons lunaires en 2020) pour ramener des échantillons de la face cachée, lors de la mission Chang’e 6.
Pourquoi la Chine a-t-elle visé la face cachée ?
Probablement parce qu’aucun pays ne l’avait fait, selon M. Cloutis. « La difficulté de la mission démontre la capacité technique de la Chine. »
M. Harvey ajoute que la mission Tianwen-3, qui devrait ramener des roches martiennes en 2030, sera relativement similaire. Cela signifie que la Chine pourrait être le premier pays à rapporter des roches martiennes, parce que la mission qui doit ramener les échantillons martiens glanés par le rover américain Perseverance est actuellement remise en question à cause de son coût.
Est-ce que la Chine partage ses échantillons lunaires avec des chercheurs occidentaux ?
« Des échantillons de Chang’e 5 ont été offerts aux chercheurs de tous les pays, dit M. Cloutis. Je planifie en demander et en recevoir. »
La Chine pourrait-elle revendiquer un territoire sur la Lune ?
C’est une possibilité évoquée par le grand patron de la NASA en 2023 dans la revue Politico, où il évoquait une « course à la Lune ». Bill Nelson citait en exemple les revendications territoriales chinoises en mer de Chine du Sud.
« Il connaît l’importance d’avoir du soutien politique du Congrès et le financement qui en découle, dit M. Harvey. La Chine a annoncé son programme spatial jusqu’en 2050 dès 2009. Elle est très transparente. »
M. Harvey ne pense pas que la Chine soit engagée dans une course à la Lune. Une meilleure comparaison, selon lui, serait la coopération de plusieurs pays, incluant la Chine, en Antarctique.
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326 g Quantité de sol lunaire rapportée par trois missions robotiques soviétiques382 kg Quantité de sol lunaire rapportée par six missions habitées américaines
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4 kg Quantité de sol lunaire rapportée par deux missions robotiques chinoisesSource : Nasa