Non au dépistage systématique du cancer du sein dès 40 ans, dit un groupe d'étude
Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP) va à contre-courant avec ses nouvelles recommandations sur le dépistage du cancer du sein. Contrairement à son homologue américain, il ne conseille pas un « dépistage systématique » chez les femmes âgées de 40 à 49 ans. Il estime que les quadragénaires qui souhaitent passer une mammographie « après avoir été informées des bénéfices et des préjudices » devraient pouvoir le faire tous les deux ou trois ans.
Le groupe indépendant — notamment formé d’omnipraticiens, d’un oncologue médical, d’un radio-oncologue, d’un chirurgien en oncologie et de patients-partenaires — publie jeudi une mise à jour de ses recommandations provisoires concernant le dépistage du cancer du sein. Des lignes directrices attendues, puisque les appels pour offrir la mammographie dès 40 ans se multiplient au pays. Il y a trois semaines, la Société canadienne du cancer a « exhorté » les provinces et les territoires à abaisser à cet âge l’admissibilité aux programmes de dépistage pour les personnes ayant un risque moyen (pas d’antécédents familiaux, de mutations génétiques, etc.). L’Ontario ira de l’avant dès l’automne prochain.
Si 1000 femmes de 40 à 49 ans sont dépistées pendant 10 ans, on va avoir au maximum une femme de moins qui va mourir du cancer du sein parce qu’elle a été dépistée
Pour émettre ses nouvelles recommandations, le GECSSP dit avoir procédé à un « examen complet des données probantes de plus de 165 études », dont des études observationnelles récentes, des essais contrôlés randomisés et des modélisations mathématiques.
« Les bénéfices [du dépistage], les décès évités par cancer du sein, augmentent graduellement à travers les âges. Ils sont vraiment plus faibles dans la quarantaine », affirme la présidente du GECSSP, la Dre Guylène Thériault. « Si 1000 femmes de 40 à 49 ans sont dépistées pendant 10 ans, on va avoir au maximum une femme de moins qui va mourir du cancer du sein parce qu’elle a été dépistée », soutient-elle.
Parmi ces 1000, 368 devront subir des imageries additionnelles et 55, des biopsies, en raison d’un faux positif (un premier résultat positif qui s’avère finalement négatif), indique le GECSSP. À cela s’ajoutent deux cas de « surdiagnostics » — des « cancers indolents, qui ne font rien », précise la Dre Thériault.
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« Souvent, on entend dire [que] “si on dépiste plus, on va diminuer les [cas de] stades avancés” », dit la médecin de famille. Or, selon le GECSSP, il n’existe « aucune étude » permettant de comparer les bénéfices du dépistage à ce chapitre lorsque celui-ci débute à 40 ans plutôt qu’à 50 ans.
Le groupe de travail s’est prêté à un exercice de modélisation. « On a trouvé que si on dépiste les femmes à partir de 40 ans aux deux ans et qu’on les suit jusqu’à tant qu’elles meurent, comparé à 50 ans jusqu’à tant qu’elles meurent, on a un [cas de] stade 3 de moins », rapporte la Dre Thériault.
Pourquoi des recommandations différentes ?
Mais comment expliquer une telle différence entre les recommandations du GECSSP et celles de son homologue américain ? Depuis le 30 avril, le United States Preventive Services Task Force, un groupe indépendant d’experts, recommande un dépistage du cancer du sein aux deux ans dès l’âge de 40 ans.
La Dre Thériault répond que cela tient « en partie » aux différences entre les populations des États-Unis et du Canada. Elle ajoute que contrairement à l’organisme américain, le GECSSP a passé en revue 82 études portant sur « les valeurs et les préférences » des patientes. « Les femmes dans la quarantaine dans ces études, quand on leur présente un scénario qui ressemble aux chiffres qu’on a [les décès évités, le nombre d’imageries supplémentaires subies, etc.], la majorité d’entre elles ne veulent pas être dépistées », affirme-t-elle.
En mettant dans la balance les « bénéfices » du dépistage, les « effets délétères » et les « valeurs et préférences des patientes », le GECSSP en arrive à la conclusion qu’il ne peut décréter qu’un dépistage systématique est requis à partir de 40 ans. « On ne devrait pas, selon notre interprétation des évidences, simplement dire : “Oui, tout le monde, allez vous faire dépister” », dit la Dre Thériault. « Si une femme a eu l’information d’une façon dont elle peut la comprendre et qu’elle dit “oui, ça correspond à mon schème de pensée et à comment moi je me sens face à ça”, elle devrait avoir accès à la mammographie. »
Le GECSSP suggère que les femmes âgées de 50 à 74 ans passent une mammographie de dépistage aux deux ou trois ans. Il croit qu’une « information juste et transparente » doit être fournie aux patientes afin qu’elles pèsent les « pour » et les « contre ». « On entend souvent dire que le dépistage, ça réduit la mortalité de 50 % », dit la Dre Thériault. « Réduire la mortalité de 50 %, ça dépend de quel chiffre on part au début. Si on prend 1000 femmes dans la quarantaine, pendant 10 ans, il y en a deux qui vont mourir de cancer du sein. 50 % de moins, c’est une femme sur 1000. »
Pour une première fois, le GECSSP invite la population à commenter ses recommandations provisoires sur son site Internet. « Si une personne veut nous faire part de telle étude, de telles données, c’est sûr qu’on va regarder ça avec intérêt », dit sa présidente.
La Dre Thériault lance aussi un appel aux femmes. Si elles découvrent une bosse à un sein, elles doivent consulter : « Si tu as une bosse, c’est pas du dépistage ! C’est un diagnostic. Peu importe l’âge, il faut s’en occuper. »
Au Canada, une femme sur huit recevra un diagnostic de cancer du sein au cours de sa vie.