Des chercheurs trouvent la cause de « l’effet yo-yo » des régimes minceur
Quiconque a déjà pénétré dans le cercle vicieux des régimes en a sans doute fait l’expérience. Après une perte de poids trop rapide, la reprise de poids s’effectue tout aussi rapidement, jusqu’à dépasser le poids initial. Alors on se remet au régime et on reperd plus de poids… pour en reprendre encore plus une fois la diète terminée, et ainsi de suite. C’est ce que l’on nomme « l’effet yo-yo ». Une équipe de chercheurs a étudié de près le phénomène pour en déterminer les causes profondes. Ils ont découvert l’existence d’une « mémoire de l’obésité ».
Actuellement, on estime qu’une personne sur huit dans le monde est obèse. Or, cette maladie chronique augmente le risque de diabète de type 2, de cardiopathie et de certains cancers. En outre, elle impacte sérieusement la vie quotidienne, générant d’importants troubles musculo-squelettiques qui entravent la mobilité. Pour limiter les risques et améliorer la qualité de vie, une perte de poids substantielle s’impose. Cependant, le maintien de la perte de poids est un défi considérable.
Les stratégies reposant sur des changements comportementaux et alimentaires n’entraînent souvent qu’une perte de poids à court terme et sont sensibles à l’effet « yo-yo ». Des recherches ont suggéré que cet effet pourrait résulter d’une mémoire cellulaire de l’obésité. Celle-ci persisterait même après une perte de poids notable ou des améliorations métaboliques. Les mécanismes moléculaires qui sous-tendent ce phénomène étaient jusqu’à présent largement inconnus. Il était donc difficile d’assurer le succès à long terme des régimes amaigrissants.
Des changements cellulaires persistants
Des chercheurs de l’ETH Zurich ont entrepris d’étudier de plus près cette mémoire de l’obésité. Ils suspectaient des mécanismes épigénétiques d’être à l’origine du phénomène. Pour rappel, l’épigénétique concerne non pas les gènes eux-mêmes, mais les marqueurs chimiques qui déterminent la manière dont ils sont exprimés. Nous héritons nos gènes de nos parents. Les marqueurs épigénétiques, en revanche, sont dynamiques et peuvent évoluer au cours de la vie. Différents facteurs ou expériences peuvent les modifier : l’environnement, l’alimentation, l’état de l’organisme, le stress, etc.
Ils peuvent aussi rester stables pendant de nombreuses années, parfois des décennies. Ils jouent alors un rôle clé en déterminant quels gènes sont actifs dans nos cellules et lesquels ne le sont pas. « L’épigénétique indique à une cellule quel type de cellule elle est et ce qu’elle doit faire », explique Laura Hinte, spécialiste en nutrition et en épigénétique métabolique, et co-auteure de l’étude.
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Pour déterminer si des mécanismes épigénétiques étaient bel et bien en cause dans la mémoire métabolique, Hinte et ses collègues ont procédé au séquençage de l’ARN de cellules du tissu adipeux de personnes de poids sain, n’ayant jamais été obèses, et de personnes souffrant d’obésité, avant et deux ans après une chirurgie bariatrique (ayant occasionné une perte de poids importante, avec un IMC réduit d’au moins 25 %).
L’analyse a montré que de nombreux gènes étaient différemment exprimés, entre les individus de poids sain et obèses. Les chercheurs ont constaté par ailleurs que chez les personnes obèses, de nombreux types de cellules conservaient ces différences transcriptionnelles après la perte de poids. Les adipocytes, en particulier, ont montré une forte rétention de ces différences. « Ces résultats indiquent que l’obésité induit des changements cellulaires et transcriptionnels (obésogènes) dans le tissu adipeux, qui ne sont pas résolus après une perte de poids significative », concluent-ils dans Nature.
Des cellules qui réagissent plus rapidement au sucre et au gras
L’équipe a ensuite effectué les mêmes analyses sur des cellules de souris de poids normal, obèses et anciennement obèses. Là encore, ils ont observé la présence de nombreux changements transcriptionnels dans le cas de l’obésité, qui persistaient même après une perte de poids appréciable. L’obésité entraîne donc des modifications caractéristiques et durables dans le noyau des cellules adipeuses.
Leur attention s’est ensuite portée sur les mécanismes sous-jacents à cette persistance. En effectuant une analyse épigénétique des adipocytes de souris, ils ont constaté des altérations durables de l’épigénome, induites par l’obésité. Des centaines de promoteurs d’adipocytes étaient marqués différemment chez les souris obèses.
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Ces modifications affectent négativement les fonctions des adipocytes (par exemple, l’adipogenèse, la synthèse des triglycérides, la signalisation de la leptine et de l’adiponectine, etc.) et leur réponse aux stimuli nutritionnels. En effet, les adipocytes des souris ayant perdu du poids ont montré une absorption accrue du glucose et du palmitate par rapport aux témoins. Ainsi, lorsqu’elles avaient à nouveau accès à une alimentation plus riche, les souris porteuses de cette mémoire obésogène ont repris du poids plus rapidement que les souris témoins, n’ayant jamais été obèses.
Les souris obèses mises au régime (HC) et les sourisqui ont toujours eu une alimentation normale (CC) ont reçu une alimentation riche en graisses (HFD) pendant 4 semaines. Il apparaît que les souris ayant été obèses reprennent du poids plus rapidement, une caractéristique de l’effet yo-yo. Leur glycémie à jeun est également plus élevée. Crédits : Hinte et al., Nature (2024)
« Les cellules adipeuses se souviennent de leur état d’obésité antérieur et visent probablement à revenir à cet état. Cette mémoire semble préparer les cellules à réagir plus rapidement, et peut-être aussi de manière malsaine, aux sucres ou aux acides gras », explique au Guardian le professeur Ferdinand Von Meyenn, auteur principal de l’étude.
Éviter le surpoids reste la meilleure des préventions
Grâce à leurs travaux, les chercheurs ont mis en évidence, pour la première fois, l’existence d’une mémoire épigénétique de l’obésité dans les adipocytes. Les cellules adipeuses se souviennent de l’état de surpoids et peuvent y revenir plus facilement : c’est la base moléculaire de l’effet yo-yo. Les changements induits par une obésité passée semblent préparer les cellules à des réponses pathologiques dans un environnement obésogène. Cibler ces changements à l’avenir pourrait améliorer la gestion du poids à long terme et les résultats en matière de santé.
Les chercheurs n’ont pas encore déterminé la durée pendant laquelle les cellules adipeuses peuvent se souvenir de l’état de surpoids. Mais cet effet pourrait potentiellement se prolonger des années, car ces cellules ont une longue durée de vie. « En moyenne, elles vivent dix ans avant que notre corps ne les remplace par de nouvelles cellules », précise Laura Hinte. Il est possible que le maintien d’un poids réduit ou sain pendant une période suffisamment longue suffise à modifier les marqueurs épigénétiques pertinents et donc, à effacer la mémoire.
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Malheureusement, il n’est actuellement pas possible de le faire à l’aide de médicaments. Pour le moment, nous devons donc vivre avec. C’est pourquoi, il est si important d’éviter le surpoids et ce, dès le plus jeune âge. « C’est en effet le moyen le plus simple de lutter contre le phénomène du yo-yo », insiste Von Meyenn.
À noter qu’il se pourrait que les cellules adipeuses ne soient pas les seules à posséder une telle mémoire. D’autres cellules corporelles pourraient également jouer un rôle dans l’effet yo-yo. Ainsi, des cellules du cerveau, des vaisseaux sanguins ou d’autres organes pourraient elles aussi se souvenir d’un surpoids passé. Cette mémoire pourrait affecter la quantité de nourriture consommée et la quantité d’énergie dépensée.
« Du point de vue de l’évolution, c’est logique. Les humains et d’autres animaux se sont adaptés pour conserver leur poids plutôt que de le perdre, car la pénurie de nourriture était historiquement un défi commun », relève Laura Hinte.