Un dispositif d’électrostimulation portable pourrait permettre de soigner la dépression sévère à domicile
La dépression sévère est un trouble mental courant et constitue l’une des principales causes d’invalidité dans le monde. Elle peut également conduire au suicide. Des traitements médicamenteux, associés à des psychothérapies, peuvent aider de nombreux malades. Mais ces approches restent inefficaces chez beaucoup d’autres. Pour ces patients, la stimulation transcrânienne à courant continu a montré de très bons résultats, mais nécessite des séances quotidiennes. Pour faciliter l’accès à cette thérapie prometteuse, des scientifiques l’ont déclinée en un dispositif portable, à utiliser chez soi.
Le trouble dépressif majeur affecte des millions de personnes dans le monde. On estime que 5 % des adultes – majoritairement des femmes – sont concernés. Ce trouble se caractérise par une apathie et une incapacité à éprouver les sentiments habituels de plaisir. À cela s'ajoutent des troubles du sommeil, de l’appétit, ainsi que du fonctionnement psychomoteur et cognitif. Les traitements de première intention sont les antidépresseurs et les psychothérapies. Cependant, plus d’un tiers des personnes souffrant de dépression sévère ne parviennent pas à une rémission clinique complète.
La stimulation transcrânienne à courant continu (tDCS) est une forme de stimulation cérébrale non invasive. Elle consiste à appliquer un courant faible (0,5-2 mA) sur une zone spécifique, via des électrodes placées sur le cuir chevelu. Les effets neurophysiologiques persistent généralement au-delà de la période de stimulation. L’approche est sûre et bien tolérée. Elle est associée à un taux relativement élevé de réponse clinique (30%) et de rémission (20%). Cependant, un traitement par tDCS implique des séances quotidiennes, en clinique, pendant plusieurs semaines.
Un casque d’électrostimulation utilisable chez soi
Afin de rendre cette thérapie plus « pratique », la société Flow Neuroscience a mis au point un casque de tDCS. L’objectif étant que les patients puissent bénéficier de cette thérapie depuis leur domicile. Une équipe de chercheurs, dirigée par la professeure Cynthia Fu, de l’école de psychologie de l’Université d’East London, a entrepris d’évaluer l’efficacité clinique et l’innocuité de ce dispositif.
Pour cette étude, ils ont recruté 174 personnes (dont 120 femmes) souffrant de dépression modérée à sévère. Ces patients étaient originaires du Royaume-Uni et des États-Unis. La plupart d'entre eux (62 %) étaient sous antidépresseur depuis au moins six semaines. D’autres suivaient une psychothérapie ou bénéficiaient de ces deux traitements depuis au moins six semaines également. Enfin, certains ne suivaient aucune forme de traitement. « [Cela] reflète l’éventail des formes de dépression majeure, du premier épisode aux troubles dépressifs récurrents, jusqu’à la dépression résistante au traitement », expliquent les chercheurs dans Nature Medicine.
Les malades ont été répartis de manière aléatoire en deux groupes. L’un a suivi une « cure » de 10 semaines de tDCS à domicile. L’autre a suivi une tDCS « placebo » (ou « inactive ») pendant la même durée. Celle-ci peut être appliquée d’une manière qui ne permet pas de la distinguer de la véritable stimulation. On augmente le courant pendant plusieurs secondes jusqu’à l’intensité cible, puis on le diminue pendant plusieurs secondes. Ainsi, les sujets ressentent les mêmes sensations physiques (démangeaisons et picotements) que lors de la stimulation active.
L’objectif principal était d’évaluer l’efficacité clinique à la fin des 10 semaines de traitement, en comparant les deux groupes. Les séances de tDCS, d'une durée de 30 minutes, ont d'abord eu lieu cinq fois par semaine, pendant trois semaines. Puis, elles avaient lieu trois fois par semaine pendant les sept semaines restantes. Les chercheurs ont suivi les séances et effectué les visites à distance par vidéoconférence.
Une diminution des symptômes dépressifs et un taux de rémission accru
Le groupe sous tDCS active a montré « une amélioration significative » des symptômes dépressifs à l’issue du traitement. Ce groupe présentait en effet une diminution moyenne de plus de neuf points sur l’échelle de dépression de Hamilton (HDRS). Cet outil permet d’évaluer la sévérité et l’évolution des symptômes. Le groupe sous fausse stimulation a montré une diminution moyenne de seulement sept points.
Sur la base des scores HDRS, le groupe sous tDCS active a présenté une réponse clinique significativement plus importante que celle du groupe placebo (58,3 % vs. 37,8 %). Il a également montré un taux de rémission bien plus élevé (44,9 % vs. 21,8 %). Sur la base d’autres échelles d’évaluation de la dépression (MADRS ou MADRS-s), les avantages de la tDCS par rapport à la stimulation fictive étaient encore plus évidents.
« Nous avons développé un programme de traitement à domicile qui a montré que la tDCS active conduisait à des taux de réponse clinique significativement plus élevés que la tDCS inactive - et que les participants aimaient avoir des séances à la maison », a déclaré la professeure Fu.
Estimation des scores moyens de 17 items de la HDRS entre le début de l’étude et la 10e semaine, dans les groupes de traitement tDCS active et inactive. Crédits : Woodham et al., Nature Medicine (2024)
Dans le groupe qui a bénéficié de la véritable tDCS, les chercheurs ont également observé une diminution significative des symptômes hypomaniaques (évalués via la Young Mania Rating Scale ou YMRS) à l’issue du traitement. Concernant les symptômes d’anxiété (évalués via l’échelle d’évaluation de l’anxiété de Hamilton ou HAM-A), l’équipe rapporte en revanche qu’il n’y avait pas de différences significatives entre les deux groupes.
L'incidence des effets indésirables (céphalées, douleurs cervicales, démangeaisons, sensations de brûlure, somnolence, changements d’humeur) était similaire dans les deux groupes. Seules les rougeurs et les irritations de la peau étaient nettement plus fréquentes dans le groupe sous tDCS active.
Une approche qui pourrait devenir un traitement de première intention
« En résumé, un traitement de 10 semaines par tDCS à domicile avec supervision à distance dans le cadre de la dépression majeure a montré une efficacité, une acceptabilité et une sécurité élevées », conclut l’équipe. Ces premiers résultats sont en effet très prometteurs : les taux de réponse au traitement et de rémission étaient 2 à 3 fois plus importants dans le groupe de traitement actif que dans le groupe témoin !
La tDCS permet d’activer les neurones du cortex préfrontal. Cette zone cérébrale est responsable de la régulation de l’humeur, du sommeil et de la motivation. Le professeur Fu a suggéré que des séances répétées pourraient entraîner des changements à plus long terme dans les cellules cérébrales. Ces changements pourraient même affecter plusieurs régions du cerveau associées à la dépression. Pour les personnes qui refusent ou ne répondent pas aux thérapies traditionnelles, c’est une solution non invasive, accessible et efficace.
Les concepteurs du casque affirment que 46 % des utilisateurs obtiennent une rémission ou une réponse – soit une réduction d’au moins 50% de leur score de dépression – au bout de dix semaines d’utilisation. Dans plus de 20 essais contrôlés randomisés, la tDCS s’est révélée supérieure à la stimulation fictive. Aucun effet indésirable grave n’a été observé. Tous les essais réalisés jusqu’à présent indiquent que la procédure est sûre. Le courant délivré au cerveau est au moins 400 fois plus faible que celui utilisé dans la thérapie par électrochocs, précise un article du Guardian.
Plus tôt cette année, une étude a montré que l’approche s’avérait efficace pour réduire la dépression et l’anxiété chez les personnes âgées. À savoir que la tDCS peut aussi être utile pour traiter d’autres troubles, comme la psychose et les troubles du comportement alimentaire. Une analyse coût-utilité de la tDCS dans le cas de dépression résistante aux médicaments est actuellement en cours en France (étude Disco). Elle est dirigée par le CHU de Nantes. Si les résultats de cette étude, impliquant plus de 200 patients, sont probants, la tDCS pourrait devenir un traitement de première intention de la dépression sévère (remboursé par la Sécurité sociale).